46
En 1975, alors que la plupart des musées
n’exposent pas de peintures ou de sculptures
postérieures aux années 1950 et que les FRAC
n’existent pas encore, le Musée départemental
des Vosges fait le pari de constituer une
collection d’art contemporain. Cette audace
est due à un jeune conservateur, Bernard
Huin, passionné par les Nouveaux Réalistes
et convaincu que les artistes vivants ont
toute leur place dans cette institution alors
rebaptisée Musée départemental d’art ancien
et contemporain. L’ambition de Bernard Huin
rejoint celle du ministère de la Culture qui, à
partir de 1981, place la création contemporaine
au centre de sa préoccupation.
Parmi les mesures en faveur des arts plastiques
figurent notamment la commande publique, la
création des centres d’art et des Fonds régionaux
d’art contemporain
1
. En Lorraine, le ministère a
préféré valoriser la photographie avec la création,
à Metz, d’un Centre photographique, et intégrer
les collections d’arts plastiques au Musée
départemental des Vosges. Jean-Luc Tartarin et
Bernard Huin appartiennent au comité technique
coordonné par Gabriel Diss, conseiller à la Direction
régionale des af faires culturelles
2
. Les premières
acquisitions reflètent l’attention accordée à
l’équilibre de la collection en associant des artistes
de la scène internationale (Niele Toroni, Sigmar
Polke, Franck Stella) à des artistes installés dans la
région, Jean-Marie Bertholin et Étienne Pressager
notamment.
1
Neil Beloufa né en 1985
TULIPS FROM MAILLY LE CHÂTEAU 789VGTTT
2020
Technique mixte
Acquis avec la participation du FRAM
Les collections
d’art contemporain
1 Lang 2021 p 422
2 FRAC Lorraine
httpcollectionfraclorraineorgcritiqueshow2langfr
3 Dole 2021 p 118
4 Coulange et Huin 1986 p 4
U N E H I S T O I R E D E P A S S I O N E T D E G É N É R O S I T É — L E S C O L L E C T I O N S E M B L É M A T I Q U E S
Thierry Dechezleprêtre
Alors que certains musées, à l’image de celui de
Dole, privilégient à la même époque la peinture
en tant que médium traduisant une expérience du
réel
3
, Bernard Huin adhère à la posture radicale
de certains théoriciens de l’art qui rejettent
ce support et affirment de cette façon qu’un
musée est fait également de ruptures. Aussi, la
politique d’acquisition mise en œuvre privilégie
les approches conceptuelles comme le Pop Art,
l’Arte Povera, l’Art minimal ou l’Art conceptuel.
Lorsqu’ Alain Coulange l’interroge sur la place de
la sculpture dans la collection du musée, Bernard
Huin rappelle que ces « œuvres en volume »
constituent pour lui le cœur de la collection,
sa colonne vertébrale. L’œuvre de Carl André
7, 11 prime Couple, datée de 1974, est à ce titre
représentative de la démarche minimaliste mettant
en avant la notion de « sculpture comme lieu
4
. »
Le choix af f irmé de faire une place à la création
contemporaine amène Bernard Huin à reconsidérer
l’approche régionale, aux origines mêmes du
musée, et d’y substituer une approche plus
universelle, mais aussi plus expérimentale, le
musée « laboratoire ». Cette démarche novatrice,
peu affirmée aussi clairement dans les musées,
vise à mettre en évidence notamment la fonction
intrinsèque de l’art dans la civilisation occidentale.
L’épistémologie de l’art et la philosophie sont
mobilisées pour cette démonstration qui s’appuie
sur des citations introduites dans l’ensemble du
parcours permanent, en guise de f il conducteur.
2