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Chez Le Lorrain, sur le mode mémoriel de
l’inf luence vécue de son séjour à Rome ; chez Long,
sur le mode réaliste d’une collecte effectuée à
l’occasion d’une de ses nombreuses déambulations
dans la nature. Ici et là, deux propositions croisées
qui en appellent tant à la cognition qu’au ressenti.
Ces deux œuvres s’of frent à voir selon des modalités
proprement opposées qui actent la grande diversité
d’approche de la création artistique en général et
du potentiel perceptif que propose la visite d’un
musée. Le tableau de Claude Gellée est chargé
d’une dimension contemplative qui est induite par
le paysage de coucher de soleil qu’il représente
et qu’il place dans un décor à l’antique, factice
et idéalisé. La narration, sur laquelle il s’appuie,
échappe au regard qui s’abandonne au pur plaisir
d’une palette irradiant l’ensemble du champ
iconique, jusqu’à aveugler le regard. Bien plus que
l’histoire de la sainte, c’est une vision émerveillée
que le visiteur emporte avec lui. L’œuvre de Richard
Long l’interpelle de toute autre façon. Par son
aspect rudimentaire, le recours à des matériaux
naturels et cette installation au sol qui lie rigueur
et relatif aléatoire, elle est fondée sur le mode de
l’évocation. Elle invite en effet le regardeur à se
projeter dans sa propre mémoire, celle d’un temps
passé à déambuler dans la nature, et l’entraîne dans
un ailleurs innommable, et pourtant familier.
Dans les deux cas de figure, il y va là d’une
expérience pleinement prospective, celle-là même
qu’il faut attendre de toute visite d’un musée.
De l’expérience
de l’art
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L E S A M B I T I O N S D U M U S É E, D’H I E R À A U J O U R D’H U I
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