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De l’expérience
de l’art
Philippe Piguet
Que peut-on bien attendre d’une visite au
musée ? Une forme de plaisir – voire de
délectation — qui passe par la vue et convoque
en nous certaines facultés, tout à la fois
sensibles et intelligibles. De la rencontre avec
une œuvre — quelle qu’elle soit –, le visiteur doit
espérer qu’elle sera l’occasion d’augmenter ses
capacités perceptives. Non qu’elle le f latte dans
le sens de ses connaissances acquises mais, au
contraire, qu’elle lui permette de les développer.
Aussi, l’expérience de l’art ne doit jamais laisser
le visiteur indemne. Elle doit l’interpeller en son
for intérieur, le bousculer même. Il y va là d’une
situation similaire à la rencontre avec l’autre,
cet inconnu dont l’histoire, la pensée et le
ressenti doivent contribuer à nous transformer,
à nous grandir. Rien n’est plus décevant qu’à la
découverte d’une œuvre — tout comme à celle
de l’autre —, aucune espèce de commotion n’en
résulte et qu’elle ne change rien de ce qui la
précède.
L’Embarquement de sainte Paule à Ostie, peint vers
1650 par Claude Gellée, dit Le Lorrain (f ig. 1), et
l’installation de bois flottés, intitulée River avon
driftwood ring, créée en 1984 par Richard Long
(fig. 2) comptent parmi les chefs-d’œuvre du
Mudaac d’Épinal. S’ils appartiennent chacun à deux
périodes d’une histoire très dif férente de l’art, on
peut toutefois les rattacher tous deux au même
ordre de genre artistique, à savoir le paysage,
représenté pour l’un, suggéré pour l’autre. L’un et
l’autre n’en sont toutefois que des formes inventées
qui procèdent de limagination de leurs auteurs
L E S A M B I T I O N S D U M U S É E, D’H I E R À A U J O U R D’H U I
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